Le bien culturel n'a pas de valeur économique

La question du téléchargement illégal, souvent appelé confusément "piratage sur Internet", anime la société et les sphères politique, industrielle et médiatique depuis plus de dix ans. Il faut bien reconnaître que l'équation n'est pas simple, entre la protection des créateurs d'une part et la liberté d'accès aux biens culturels de l'autre. A ce titre, Hadopi est le dernier fruit d'une approche inadaptée et inefficace. Étant sensible aux deux aspects de la question, je vous livre quelques réflexions à ce sujet...

Il est évident qu'un artiste a besoin de ressources pour vivre et se consacrer pleinement à la création. Même si la passion est aussi pour lui un moteur, la rétribution est la meilleure façon d'assurer une production abondante et de qualité professionnelle. Il faut compter qu'un artiste doit souvent être entouré d'autres acteurs pour produire et diffuser son travail. La publication a beau devenir immatérielle, ces activités ont toujours leur raison d'être et nécessitent moyens et compétences.

Toutefois, sans vouloir dénigrer le rôle des éditeurs, des maisons de disques et autres intermédiaires, il faut reconnaître qu'ils s'en sont mis plein les poches pendant des années. Je pense notamment à ceux qui ont vendu des CD beaucoup plus chers que les vinyles même quand leur production était devenue moins coûteuse. On pourra me rétorquer que le prix d'une marchandise est moins lié au coût de fabrication qu'au montant que le client est prêt à payer. Et bien, sur ce grand principe, le retour de bâton est cinglant : aujourd'hui le client ne veut plus payer !

Et s'il ne veut plus payer, ce n'est pas simplement par vengeance ni par attirance pour les petites pratiques délinquantes. Beaucoup de ceux qui téléchargent illégalement ne sont pas des voleurs dans l'âme. Peu d'entre eux se lancent dans la contrefaçon et les trafics. Ils récupèrent musiques, films et textes essentiellement pour leur usage personnel et n'en retirent aucun autre bénéfice.

Il serait alors temps de constater que la valeur marchande de ces biens dits culturels est désormais proche de zéro. En effet, à la base de l'économie se trouve la notion de rareté. C'est la rareté d'un produit qui lui donne une valeur marchande. Or, l'informatique et l'internet ont brisé la nécessité du support matériel et de sa distribution. L'accès au réseau et le stockage de données sont même arrivés à un stade où leur mesure est négligeable, comme le fait remarquer Chris Anderson, l'auteur de La Longue Traîne. C'est comme si l'on se trouvait face à une ressource inépuisable.

De fait, copier un fichier n'appauvrit pas la ressource, n'altère pas l'original et n'enlève rien à la richesse globale.

Par conséquent, l'accès au réseau et le stockage étant considérés comme négligeables, la copie numérique n'a plus de valeur économique. Il en est de même au sujet des idées scientifiques ou des logiciels pour lesquels l'approche dite "open source" ne cesse de se répandre. N'étant pas des biens économiques mais des biens intellectuels ou culturels, il n'est pas illogique qu'ils soient gratuits ou considérés comme tels par une part importante de la population.

Il reste que si la loi finissait par entériner cet état de fait, la question de la rétribution de ceux qui produisent ces biens resterait entière. Par ailleurs, les droits d'auteur qui garantissent la reconnaissance de l'acte créateur et les conditions d'exploitation et de transformation doivent évidemment perdurer, même si le droit de copie devient ouvert à tous.

Alors comment payer les auteurs ? La question reste ouverte et c'est sans doute pour cela que le législateur piétine. Il n'y a pas de solution idéale mais celle dite de la "licence globale" me paraît aujourd'hui
la plus pragmatique. Elle consiste à instaurer une forme d'abonnement, ou d'impôt si on le regarde sous un autre angle, qui alimenterait le revenu des artistes. Le mettre en place ne pose pas de difficulté majeure. Par contre, la répartition de cette manne entre les créateurs ne serait pas simple.

En France, "Création-Public-Internet" définit cette voie nouvelle, alors que la voie répressive en vogue depuis plusieurs années a montré autant d'inefficacité dans l'évolution des comportements que dans la juste rétribution des créateurs. Le principe de répartition pourrait être basé sur l'audit des usages d'un échantillon représentatif de citoyens. Cette solution est sans doute discutable et imparfaite mais elle est déjà beaucoup plus équilibrée que la situation actuelle, tiraillée entre des désirs de profits capitalistes peu mérités, la négation du changement, l'hypocrisie et le déni de démocratie.

Je suis autant attaché à la rétribution des créateurs qu'à la liberté de diffusion des biens culturels. J'attends de pied ferme l'instauration d'une solution qui satisfasse ces deux impératifs.



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