Interview sur la peinture numérique

Je publie aujourd'hui le texte d'un entretien que j'avais eu avec la rédactrice en chef du magazine Trame 9 en 2008 à propos de la peinture numérique. Cet entretien a servi de base à un article dans le numéro 5 du magazine mais n'a jamais été publié dans son intégralité. Comme les questions qui m'avaient été posées à l'époque étaient pertinentes et me sont régulièrement posées, il y a sans doute un intérêt à la diffusion de mes réponses...
 
Pouvez-vous donc, nous expliquer en quelques phrases, ce que représente la peinture numérique, pour vous ?

La peinture numérique, c'est avant tout de la peinture, une activité qui consiste à répartir des couleurs sur une surface. L'adjectif "numérique" précise la technique employée : l'ordinateur avec ses logiciels et les outils associés remplacent les pinceaux, la palette et tout le reste.

Je définirais la peinture numérique comme une branche de l'infographie qui se distingue simplement parce qu'elle partage la même démarche que celle de la peinture artistique traditionnelle. L'infographie est une activité souvent tournée vers la communication, la publicité... Dans le cas de la peinture numérique, le graphiste s'exprime personnellement, comme un artiste peintre, pour créer des oeuvres d'art (bonnes ou mauvaises).

Evidemment, les frontières ne sont pas très nettes et tout le monde n'en a pas la même définition. Certains voient dans la peinture numérique un courant artistique en tant que tel. A mon avis, si des courants peuvent émerger à l'adoption de ces techniques récentes, il convient de leur donner un autre nom. Quand Gutenberg a inventé l'imprimerie, les écrivains n'en ont pas fait un genre littéraire !

Comment avez-vous commencé à en faire ? Quel fut le déclic ? Qu’est-ce que la peinture numérique vous apporte que ne vous apportent pas les autres arts que vous pratiquez ? Ou alors la peinture numérique s’inscrit-elle dans une démarche plus générale, plus globale ?

Il y a eu un vrai déclic en effet. C'était le jour où j'ai eu un stylet en main et que j'ai commencé à gribouiller sur une tablette graphique. J'ai compris alors que l'ordinateur était arrivé à un stade de développement suffisant pour servir de substitution aux outils traditionnels du peintre. Mais remplacer les pinceaux par l'ordinateur n'a d'intérêt que si on exploite ce qui différencie ce dernier. Outre le fait de ne pas salir les mains, l'ordinateur permet de faire et défaire à l'infini, ce qui favorise l'expérimentation. J'ai aussi été séduit par ses capacités de transformation : on peut par exemple changer la couleur d'une oeuvre en quelques clics, avec de la peinture "physique" il faudrait tout recommencer...

Comment procédez-vous exactement ?

Je n'ai pas de procédé établi car j'aime expérimenter de nouvelles méthodes. Je peux peindre sur un "écran blanc" ou travailler à partir d'échantillons d'images, souvent des photos que je détourne. J'utilise plutôt mon Tablet PC pour dessiner directement sur l'écran, ce que je trouve plus confortable qu'une tablette graphique posée sur un bureau. Ensuite, je réalise beaucoup de transformations successives. Pour cela, je considère les filtres comme de véritables outils de création. De prime abord, ce travail semble accessible au premier venu mais trouver les bons réglages et les bons enchaînements demande une certaine dose d'expérience et de patience. J'utilise de nombreux logiciels différents, de plus en plus "open source", dont j'exploite seulement les points forts au cours du processus.

Quelles sont vos inspirations ?

J'aime certains grands courants artistiques du XXème siècle, comme le cubisme ou l'abstraction. La calligraphie, le graffitti m'inspirent aussi particulièrement. Tout ceci m'influence sans doute beaucoup mais d'un autre côté, c'est un lien qui n'est pas conscient au moment où je peins. Je me laisse surtout guider par l'émotion que dégage l'image, ses formes, ses couleurs, ses textures.

Quelles sont les différences fondamentales que vous voyez entre peinture numérique et peinture traditionnelle (je ne parle évidemment pas des différences évidentes, que sont les outils par exemple, mais les différences plus théoriques) ?

La première constatation, c'est que l'écran remplace la toile comme support d'origine. Ce n'est cependant qu'un aspect secondaire car on constate finalement que les oeuvres sur toiles sont beaucoup contemplées par écran interposé et qu'inversement les techniques sont maintenant au point pour imprimer une oeuvre numérique sur toile.

A mes yeux, la différence essentielle est dans le potentiel d'expérimentation, porté par la fonction d'annulation, la possibilité de retoucher une forme et bien sûr les filtres qui permettent de transformer une image comme jamais on ne l'avait fait.

Les facilités proposées par la technique permettent d'accéder à des univers quasiment inaccessibles en peinture traditionnelle. Il m'arrive assez fréquemment de commencer une oeuvre et de décider à un moment de partir dans deux directions différentes pour aboutir à deux oeuvres distinctes. En peinture traditionnelle, ce serait très difficile, on serait obligé de créer la deuxième oeuvre en reproduisant le début du travail fait sur la première, avec une forte probabilité de partir dans une autre direction.

Ces différences sont fondamentales et ouvrent des perspectives vraiment nouvelles. C'est pour cette raison que la peinture numérique a tout son intérêt, pas seulement parce qu'on ne se salit plus les mains !


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